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      /  Chroniques du Temps   /  13 – En ce temps-çi

    Montres Mania

    Illustration Prune Cirelli

    13 – En ce temps-çi

    (le poète, l’horloger et le Beau idéal)

    Textes : Laurent Cirelli
    Illustrations : Prune Cirelli

    Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée.

    Arthur RIMBAUD

    Je partirai, au risque de me rendre ridicule (ce qui n’est pas forcément pour me déplaire) d’un postulat clair et définitif: le poète Arthur RIMBAUD n’est pas mort, comme on veut bien nous le faire croire, par la faute d’une méchante tumeur au genou (au genou…!) mais par celle de ses contemporains que son projet – « tout voir, tout sentir, tout épuiser, tout explorer, tout dire…» – acheva de convaincre de leur irrémédiable médiocrité. Alors ce fut lui ou eux… ! 

    J’écris ça… ça n’engage que moi bien sûr… Mais, mon commanditaire et néanmoins camarade ayant trouvé ma dernière parution quelque peu vindicative à l’endroit de RICHARD MILLE (et vous chers lecteurs-collectionneurs, qu’en avez-vous pensé ? Réagissez que diable !) je pourrais rapprocher ce dernier du poète ci-haut visé, en faire même une sorte de martyr du « bon goût » et lui adjoindre, sur le Golgotha de mes (vos ?) aversions, les A. LANGE et SÖHNE, DIETRICH OT-1, WERDELIN, SEVENFRIDAY, MB et F, VOUTILAINEN, et autre PARMIGIANI FLEURIER… Mais je ne le ferai pas. Et ça ne sera pas « eux ou moi ». 

    Car qui peut donc peut bien se soucier de mes goûts et dégoûts sinon moi ? Qui peut donc concevoir que j’avais peut-être pour nous, comme lui (le poète, pas l’horloger) et comme vous, une exigence terrible et belle, insatisfaite et perdue: qu’en ai-je fait, qu’avons-nous fait de cette grâce qui nous était donnée, de la beauté qui nous faisait à l’origine? 

    Houlà… ! Voilà que je me prends pour Terence MALICK… je m’égare bon Dieu… ! Revenons-donc à des considérations plus… horlogères : pourquoi certains d’entre nous sont-ils bien incapables de porter au poignet une création de GRISOGONO ou alors (pour ce qui me concerne c’est de cette seule façon que je le pourrais) vêtus d’une chemise aux manches particulièrement longues et couvrantes ? Hein pourquoi ?! Et pourquoi d’autres au contraire vont ils se pavaner munis d’une pareille tocante dans les endroits justement les plus en vue de la planète ? Vérité en-deçà des Pyrénées erreur au-delà aurait dit l’autre (Pascal en l’occurrence) et je ne suis pas plus avancé sur la question. Vous non plus d’ailleurs. 

    Suis-je (sommes-nous) donc, comme RIMBAUD Arthur vu par RIVIERE Jacques un « être exempt de péché originel, un être intact, non diminué, non mutilé » ? Est-ce pour cela que mon (votre?) inclination naturelle va à la beauté simple, rationnelle et est-ce pour cela que je suis remonté (comme le mécanisme d’une vieille AIR KING…) contre certains ? Je m’égare encore ! A la recherche du Beau idéal ?! Autant chercher une aiguille dans une meule de foin ! 

    Que les artistes se confrontent à cette question de la Beauté suprême, intemporelle, et fassent des propositions qui reflètent leur époque et leur génie particulier c’est chose entendue depuis des siècles, alors pourquoi pas les horlogers ?

    Et puisqu’avec le dix-neuvième siècle l’œuvre l’art acquiert de nouvelles fonctions et que le chef-d’œuvre n’est plus forcément synonyme de Beau et que, quelques années après STENDHAL, Charles BAUDELAIRE affirme même que « Le beau est toujours bizarre ».

    Et qu’encore Arthur RIMBAUD, anticipant sur le vingtième siècle, ose s’attaquer à la beauté en assénant ce que l’on peut lire en préalable à ce papier: alors ne devons-nous pas admettre que l’horlogerie du vingt et unième siècle puisse prendre le large avec la rigueur et l’efficacité esthétique, dépouillée parfois à l’excès, des ROLEX, PATEK et autres JAEGER qui ont été longtemps à la montre ce que le Bauhaus a été à l’architecture: rigoureux et sans sophistication. 

    Pourtant, je n’arrive pas à me défaire de l’idée que ces mêmes marques avaient pour objet non seulement de repousser toujours plus loin les limites de l’art horloger, mais aussi et surtout de perpétuer une certaine idée, toute simple, de la beauté usuelle de l’objet. Et je ne peux pas non plus m’empêcher de penser que les « créateurs » listés plus haut l’ont, eux, assise sur leurs genoux et injuriée… 

    PS : s’il fallait encore illustrer la conclusion ô combien visionnaire et lucide du texte (12) précédant celui-ci, on pourra se reporter aux pages 80 à 85 de la dernière livraison du magazine « MONSIEUR » qui mélange bien trivialement les genres – la formule 1, la gastronomie et l’horlogerie (en bref, RICHARD MILLE fait cuire – sous l’œil attentif d’un chef étoilé et celui dubitatif d’un coureur automobile ayant donné son nom (ben tiens !) à la… RM11 – un pavé de saumon sur le bloc moteur d’une Nissan GTR… fallait y penser…) – et confirme qu’il ne s’agit pas tant ce temps-ci de faire beau mais plutôt de faire sensation… au risque de se rendre… ridicule.